La parade fluviale des JO, une affaire d’internationalisation
Si rien ne vous a choqué lors de la parade fluviale des JO… vous parlez certainement Francais !
En effet, a quelques exceptions près, l’ordre de passage des différents pays sur la voie navigable Parisienne a été fixé sur l’ordre alphabétique.
Quel est le problème me direz vous ?
Cet ordre alphabétique, en accord avec le règlement des JO, utilise la langue nationale du pays hôte.
La France n’ayant qu’une seule langue nationale et un seul alphabet, il était donc simple de respecter le règlement, l’organisation a bien exécuté et on pourrait donc s’arrêter là et passer à autre chose.
Oui mais…
Cette façon de faire présente un problème d’internationalisation !
En effet, les personnes parlant une langue non romane n’auront pas pu utiliser cet ordre alphabétique comme référentiel les aidant à découvrir les athlètes de leur pays dans une procession comptant 94 bateaux.
La présentation des différents pays, d’abords en Français, ensuite dans la langue native avec une alternative en Anglais rend cet ordre incompréhensible pour la majorité des personnes qui suivaient cette cérémonie.
Mon intention n’est pas de critiquer le règlement des JO qui renforce ici la souveraineté du pays d’accueil et l’accessibilité de l’évènement pour ses habitants, mais d’apporter une rétrospective sur les différentes stratégies d’internationalisation qui pouvaient être retenues pour un évènement de ce type et comment l’’organisation des JO a pu s’en inspirer.
1. L’approche polycentrique (Polycentric approach)
Celle-ci consiste à adapter le système d’information afin qu’il soit capable de gérer les différentes locales (ici par langue et pays) de façon universelle et la moins arbitraire possible.
C’est en partie ce que l’organisation des JO a fait en présentant les pays par leurs exonymes (nom des pays exprimés par une culture étrangère — ici en Français et en Anglais) puis leurs endonymes (ou les noms des pays dans leurs langues natives)
L’organisation aurait néanmoins pu ici utiliser l’endonymie dans la liste source, au lieu d’utiliser l’endonymie afin d’utiliser un ordre alphabétique plus accessible à l’international.
Cette stratégie est très adaptée à des interfaces web par exemple, car il est possible d’établir la locale définie par la personne dans son navigateur et d’adapter la page chargée à celle-ci sans impacter le système d’information.
Pour la parade fluviale, elle pose néanmoins plusieurs problème stratégiques.
- L’ordre d’apparition sur la seine est le même pour tous le monde, c’est un ordre physique qui est décidé une fois et ne peux être adapté à chaque audience.
- Tous les pays n’utilisent pas l’alphabet latin dans leur langue native, il faudrait décider arbitrairement de l’ordre dans lequel les différents alphabets seraient utilisés.
- Certains pays ont plusieurs langue nationales (comme la Belgique ou la Suisse par exemple), il y aurait donc d’autres décisions arbitraires à prendre et un format de présentation à adapter.
Afin d’éviter de complexifier un problème apparaissant comme simple et de limiter l’impact politique et organisationnel, cette stratégie qui se voudrait pourtant la plus inclusive est à éviter pour ce cas.
Trop de problèmes, pourtant absents de la solution envisagée par défaut (et donc par un biais culturel) rendront la stratégie difficile à exécuter humainement dans une organisation ne mettant pas fortement l’emphase sur l’internationalization ou l’accessibilité en général et ou il sera difficile de transmettre la bonne direction à des collègues encore peu formés.
Ce genre de problème n’étant pas qu’humain, les ressources à investir seront décuplées par des coûts organisationnels, n’étant pourtant pas inhérents à une approche purement technique sur papier, et le projet inutilement complexifié sera mis en échec.
L’approche polycentrique, généralement la bonne en internationalization, ne permet pas de répondre pratiquement à ce problème.
2. Les langues ponts
Les langues ponts se définissent dépendant du contexte dans lequel la stratégie d’internationalisation est exécutée, elles sont des langues dont on sait qu’elles sont accessibles à la majorité des personnes qui seront impactées par cette stratégie.
La logique à l’origine de l’usage des langues ponts veut qu’en supportant un minimum de langues, un maximun de personnes puisse nous comprendre:
- soit directement car elles maitrisent cette langue à différents niveaux
- soit car les langues qu’elles parlent sont très similaire et leur permettent de comprendre partiellement la langue pont
- soit par proximité sociale, en considérant que tous le monde devrait connaitre une personne parlant la langue pont et étant capable d’apporter son aide à la personne ne la parlant pas. (une stratégie souvent utilisée pour l’accueil de communautés en exil ou comme motivation pour accueillir des capitaux étrangers)
- Et dans certains contextes, en considérant la capacité des ces personnes à obtenir une traduction de qualité en utilisant des technologies de traduction côté utilisateur·rice (end user translation)
A l’échelle internationale, les langues ponts peuvent être établies par groupes (par exemple une langue romane, une langue germanique, l’arabe, une langue Turque,le mandarin,…) ou par nombre de locuteurs (Mandarin, Anglais, Espagnol, Portugais,…)
Le choix de ces langues reste tout de meme arbitraire car certains pays géographiquement proches utilisent des langues tres différentes.
Voici un exemple de matrice de langues ponts pour l’international où l’on cherche à localizer par région:
- L’Anglais pour les pays de l’ex common wealth, l’Amérique du nord, la Polynésie et les pays européens de langues germanique ou scandinave,
- Le Russe pour ceux de l’ex URSS,
- Le Turc pour compléter l’Asie centrale et inclure la Turquie
- L’Arabe pour le nord de l’Afrique, le moyen orient et les pays du golfe
- Le Mandarin pour la région APAC,
- Le Francais, pour certains pays d’Afrique, les Caraibes, En Polynésie, l’ex Indochine et certains territoires d’Amérique du nord.
- Une langue utilisée dans les Balkans — bonne chance pour bien la définir ici (voir: https://fr.babbel.com/fr/magazine/bscm-langue-des-balkans)
Ces choix, non seulement arbitraires, posent deux problèmes majeurs pour le cas des JO:
Ils excluent des plus petites régions ou induisent un cout de traduction par locuteur bien plus haut par exemple:
- l’Italien pourrait couvrir la Roumanie, L’Italie et une petite partie de l’Ethiopie,
- le Néerlandais au Suriname, en Afrique du sud, dans les Antilles, l’Indonésie et les Pays-Bas,
- La Grèce, la Corée du sud et le Japon, ont leurs propres langues respectives et pas d’affinités particulièrement répandue avec une autre langue.
- Multitude de populations indigènes, de plus en plus en contact avec le monde moderne, utilisent encore exclusivement leurs propres langues
- Les pays baltes sont peu couverts par la matrice et devront passer par l’Anglais ou le Russe. L’ajout de l’Allemand ou du Polonais pouvant augmenter légèrement l’accessibilité pour certaines communautés récemment établies dans la région.
Ils rappellent un passé colonial,
- notez que la temporalité utilisée ici est adaptée à un public Français vivant dans l’hexagone, cette forme non engagée politiquement éviterais de transformer un contenu informationnel en sujet polémique et polarisant
- mais la problématique de décolonisation est un sujet d’actualité dans d’autres pays tels que le Bresil ou le Burkina faso, ou dans des territoires encore administrés/mixtes comme le montre les récents évènements en Nouvelle Calédonie, l’usage de cette même forme, non seulement polémique, s’opposera fortement à l’actualité locale.
Pour ces raisons, utiliser des langues pont au niveau international peut s’avérer pénible et fortement impacter la stratégie éditoriale, mais serait par exemple pertinent:
- Dans des programmes de formation pour des corps de métiers ayant vocation à représenter une organisation ou institution à l’étranger (ONG, diplomates, militaires, ingénieurie territoriale,…)
- Pour faciliter l’accueil de communautés de neo-arrivants, un exemple proche et récent est l’accueil de communautés de Kosovars et de Libanais par la Suisse suite aux guerres civiles ayant touché ces deux dernières.
3. L’Anglais d’abords (English first)
Finalement, la stratégie la plus répandue consiste à utiliser l’Anglais (ou un pseudo language similaire utilisé à des fins uniquement techniques) comme langue source.
Cette stratégie, exécutée avec les bonnes motivations, se base sur la délégation de la traduction et parfois de la livraison du contenu à une audience globale via une organisation, une personne, ou un moyen technologique.
Elle s’assume incomplète mais de volonté inclusive, c’est à dire qu’elle prendra en compte les besoins des intermédiaires de traduction et livraison de contenu mais ne se concentrera que sur la traduction en Anglais.
Dans le cas des JO, la retransmission des évènements par différents médias à travers le monde assure cette fonction et permet de limiter la stratégie interne à un canal Français et un canal unique pour la retransmission.
Si cela est bien fait, il est alors possible aux différents médias d’adapter au mieux le contenu pour leur audience dans un contexte local.
Bien que cette stratégie ne soit pas incompatible avec une approche polycentrique, elle ne se base pas sur les mêmes valeurs et des erreurs évitables dans un schema de pensée polycentrique peuvent être commises dans un schéma de pensée trop axé sur la délégation.
De plus, cette stratégie est souvent mal comprise et basée sur une idée fausse de l’Anglais comme une langue universellement inclusive, ce qui est très loin d’être le cas.
Ce biais peut mener l’organisation à ne pas allouer suffisamment de ressources à la gestion des partenariats avec les organisations et personnes relayant le contenu ou à la prise en compte des capacité technologique réelles des solutions de traductions en self service, bien en dessous de ce que leurs lobbies écrivent à leur sujet.
C’est en partie ce qu’a fait l’organisation des JO en ajoutant à ses présentations une couverture en Anglais qui faisait suite aux noms Français et natif des différents pays.
Conclusion
Si le fait d’établir une liste par ordre alphabétique peut paraitre simple à première vue, nous voyons ici qu’il n’en est rien et que la solution de gouvernance apportée par le règlement des jeux olympiques à sans doute aidé l’équipe à assoir un choix pour une décision complexe.
Au jours le jour, tout travail éditorial, conception de produit ou de service est impacté par la stratégie d’internationalisation ou son absence.
Etablir les valeurs poussant la volonté d’internationaliser dans le contexte ou elle est réalisée est une étape cruciale pour toute organisation ou personne s’adonnant à ses pratiques.
Une autre stratégie aurait par exemple pu éviter un incident diplomatique grave tel que d’avoir nommé la Corée du sud par le nom de son voisin du nord, un régime totalitaire remettant en question sa souveraineté et la sécurité de ses habitants.
Un qui pro quo des plus simples du aux noms donnés à ces deux pays dans la culture francophone et anglophone: la république populaire démocratique de Corée (Joseon Minjujueui Inmin Gonghuaguk — 조선민주주의인민공화국*)* étant en fait la Corée du nord, un régime communiste totalitaire, alors que la République de Corée (Dae han Minguk — 대한민국) est un état démocratique partenaire de l’OTAN et à l’infrastructure urbaine et civique mieux développée que celle de nos pays européens.
Voyez dans ces noms la multitudes d’exonymes sémantiquement similaires que peuvent avoir deux pays pourtant si différents et aux endonymes bien distincts, cet exemple montre non seulement que les deux pays ont été renommés, mais que leurs noms même natifs sont exprimés en deux alphabets.
J’espère que cet article vous aura convaincu de l’importance à donner à votre stratégie d’internationalisation, si le sujet vous intéresse, contactez moi pour recevoir mon prochain cours sur le sujet gratuitement, en avant première et sans que je ne m’octroie le droit d’utiliser vos informations ou vous envoyer plein d’email non consentis par la suite.
Je suis Freelance européen en protection des données, internationalisation et usages sociaux des technologies d’interprétation et exécution des processus métiers, j’écris sur des sujets à la frontière des systèmes d’information et de l’intérêt général.